Haïti à la croisée des chemins : une stratégie à long terme pour sortir de la crise

Written on 11/22/2024
Revital Lynch

Depuis des décennies, Haïti est confronté à une instabilité chronique qui compromet son développement. La violence des gangs, l’effondrement des institutions et les crises humanitaires successives ont plongé la population dans une situation de désespoir. Pourtant, une solution durable est envisageable, reposant sur des réformes systémiques et une mobilisation nationale.

Haïti, qui fait face à une convergence de crises depuis des lustres, se retrouve aujourd’hui à un carrefour où agir devient une nécessité. Il est essentiel d’analyser la dimension de chacune de ces crises :

1. Sécurité : Les gangs contrôlent environ 80 % de Port-au-Prince, provoquant des déplacements massifs et une insécurité généralisée. Depuis 2023, plus de 700 000 personnes déplacées internes ont été recensées, une augmentation de 22 % en trois mois. Ce nombre pourrait encore augmenter et dépasser les 800 000, en raison de nouvelles vagues de déplacements survenues lors des conquêtes de territoires tels que Solino, Nazon et Christ-Roi.

2. Politique : L’absence d’élections depuis huit ans paralyse le pays. Les dernières élections, en 2016, ont vu Jovenel Moïse élu président. Cependant, la légitimité des dirigeants a souvent été contestée. Depuis l’assassinat du président en sa résidence le 7 juillet 2021, Haïti n’a connu aucun autre chef d’État légitime.

3. Économie : Plus de 60 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, et le PIB a chuté de 2 % en 2023. Catherine Russell, cheffe de l’UNICEF, a déclaré :
« Les affrontements et l’instabilité en Haïti ont des conséquences qui vont bien au-delà des risques liés à la violence elle-même. La situation engendre une crise sanitaire et nutritionnelle qui pourrait coûter la vie à un nombre incalculable d’enfants. »
Par ailleurs, 1,64 million de personnes sont confrontées à une insécurité alimentaire aiguë de phase 4 (urgence), ce qui accroît le risque d’émaciation et de malnutrition, notamment chez les enfants, dans huit régions du pays.

4. Social : Les services publics sont pratiquement inexistants, exacerbant les inégalités.

Éducation : Gérée par le Ministère de l’Éducation nationale, elle est largement sous-financée, avec une forte dépendance au secteur privé et aux organismes internationaux.

Santé : Les services publics sont limités, et les ONG, comme Médecins sans frontières, jouent un rôle crucial.

Eau et électricité : Assurées par des entités comme la DINEPA et l’EDH, ces ressources souffrent de lacunes majeures.

Sécurité et justice : La Police nationale et le système judiciaire – souvent perçu comme quasi inexistant, sont marqués par des dysfonctionnements.

Quelles sont les solutions proposées ?

I. Réforme de la gouvernance

Unité nationale : Mettre en place un gouvernement de transition inclusif impliquant les principaux acteurs politiques et civils, composé de personnes honnêtes, crédibles et dignes de confiance.

Une nouvelle constitution : Doter le pays d’une nouvelle constitution inspirée de celle de Jean-Jacques Dessalines de 1805. Un référendum serait organisé pour revenir à une constitution fondée sur l’autonomie nationale et la justice sociale, afin d’inspirer un renouveau démocratique et une souveraineté populaire.

Lutte contre la corruption : Créer une commission indépendante chargée d’enquêter sur la corruption, avec des sanctions dissuasives.

Instauration d’un Conseil Électoral Permanent (CEP) en Haïti : Quoique ce soit un processus complexe. La constitution de 1805, adoptée après l’indépendance, ne précisait pas les règles électorales modernes. Il est donc essentiel d’adopter de nouvelles lois, principes et structures pour un CEP rénové.

II. Nouvelle Structure du CEP, basée sur 7 points clés

Indépendance juridique et financière : Le CEP doit être autonome, avec un budget voté par le Parlement, afin d’éviter les ingérences politiques. Toutes ses opérations seront supervisées par l’ULC, la nouvelle Unité de Lutte contre la Corruption.

Consultations nationales : Organiser des discussions avec la population, les institutions concernées et les organisations sociales pour désigner des représentants crédibles et consensuels.

Nomination et prestation de serment : Les membres du CEP seraient nommés officiellement après la validation de leur éligibilité, basée sur des enquêtes approfondies pour garantir leur intégrité. Cette étape vise à assurer que les candidats remplissent les critères de compétence, de transparence et d’absence de conflits d’intérêts avant de prendre leurs fonctions.

Représentation régionale : Le CEP devrait compter un nombre minimum de membres, soit trois membres par département (10 départements) et un membre pour chaque commune (environ 140 communes), afin de garantir une représentation décentralisée et équitable. Cette structure prendra en compte les spécificités locales. De plus, des représentants de la diaspora haïtienne seront inclus pour garantir leur participation, chaque communauté de la diaspora désignant ses membres en fonction de son nombre de citoyens haïtiens, ce qui assurera une représentation proportionnelle et juste à l’échelle nationale et internationale.

Processus transparent : Créer un organe de surveillance citoyenne pour auditer les opérations électorales.

Mise en œuvre des élections : Le CEP préparerait le calendrier électoral, formerait les agents électoraux et gérerait le déroulement des scrutins en respectant les normes démocratiques.

Utilisation de la technologie : Développer un système de vote électronique ou numérique pour limiter la fraude. Les Haïtiens de la diaspora pourraient aussi remplir leur devoir électoral.

Principes fondamentaux du CEP

Nomination indépendante : Les membres du CEP seraient sélectionnés par des comités d’experts non partisans, sur la base de leurs compétences et de leur intégrité.

Formation continue : Formation régulière des agents électoraux pour professionnaliser le processus.

Rôle limité de l’exécutif : L’État fournirait des ressources sans intervenir dans la gestion des élections.

III. Sécurité et justice

1. Réforme de la police nationale : Il est essentiel de former et d’équiper les forces de l’ordre pour mieux répondre aux défis sécuritaires actuels. Un système de réservistes composé de jeunes agents volontaires (18-40 ans), formés par les forces armées, pourrait être instauré pour soutenir les opérations de démantèlement des groupes terroristes et de maintien de l’ordre.

2. Démantèlement des groupes terroristes : L’intervention des forces locales et internationales est cruciale pour désarmer et neutraliser les chefs terroristes ainsi que les groupes armés. Le Salvador, sous le président Nayib Bukele, propose son aide pour la lutte contre les gangs en Haïti, en partageant son expérience et ses stratégies, notamment en matière de répression rigoureuse des gangs. L’aide internationale serait conditionnée par l’obtention d’une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU et de l’accord du gouvernement haïtien.

Réforme judiciaire

1. Création de tribunaux spécialisés : La création de tribunaux spécialisés dans les crimes liés au terrorisme et aux gangs permettrait de juger rapidement les auteurs de violences organisées et d’établir une jurisprudence claire. S’inspirant de l’expérience du Salvador, où des tribunaux spécialisés existent déjà pour traiter les affaires de gangs, Haïti pourrait bénéficier d’une aide internationale pour le développement de ce système.

2. Corruption : La mise en place d’un tribunal anti-corruption, inspiré de modèles comme l’opération Lava Jato au Brésil, permettrait de lutter efficacement contre le détournement de fonds publics et l’impunité des élites politiques. Un tel tribunal serait étroitement lié à l’Unité de Lutte contre la Corruption (ULCC).

3. Ressources et formation : Pour garantir le succès de ces tribunaux spécialisés, Haïti devra investir dans la formation continue des juges et avocats spécialisés, ainsi que dans les infrastructures nécessaires, notamment les centres de gestion des preuves numériques et les mécanismes de protection des témoins et fonctionnaires impliqués dans des affaires sensibles.

La création de tribunaux spécialisés dans les domaines du terrorisme et de la corruption représente un pilier fondamental pour renforcer l’État de droit en Haïti. Une volonté politique forte, associée à des ressources adéquates et à une coopération internationale, est nécessaire pour rétablir la sécurité et la confiance des citoyens dans le système judiciaire haïtien.

IV. Développement économique et social

Investissements prioritaires

1. Éducation : L’éducation doit être une priorité nationale, avec un programme de formation universel couvrant tout le territoire. Le système éducatif comprendra un cycle de 9 années d’études fondamentales, sanctionnées par un certificat. Les études secondaires dureront 4 ans, avec un baccalauréat à la fin, et un baccalauréat spécialisé pour orienter vers des études universitaires.

L’éducation civique sera obligatoire, et le manuel « J’aime Haïti » sera de nouveau intégré au programme, avec des formations en psychologie et en leadership pendant les années secondaires.

La construction d’écoles et d’universités spécialisées dans les zones rurales, bien équipées technologiquement, est essentielle. L’État garantira la formation fondamentale, tandis que les établissements privés devront obtenir une licence, renouvelable annuellement sous condition de maintenir un niveau académique élevé.

Les formations secondaires et universitaires seront financées par des crédits étudiants, avec l’obligation pour les diplômés de servir l’État pour rembourser leurs dettes d’études. Ceux qui obtiennent leur bac devront servir soit dans l’armée, soit dans des actions civiques.

2. Santé : L’objectif est d’augmenter l’accès aux soins, en particulier dans les régions les plus touchées par la crise actuelle, en améliorant les infrastructures et en formant des professionnels de santé dans les zones rurales.

3. Relance de l’agriculture : Moderniser les infrastructures agricoles et soutenir les petits exploitants agricoles. Des contrats pourraient être offerts aux producteurs locaux pour sécuriser leurs productions et leur donner un accès à de nouveaux marchés, avec des politiques incitatives pour la production locale.

IV. Développement économique et social

Investissements prioritaires

1. Éducation : L’éducation doit devenir une priorité, avec la mise en place d’un programme de formation universel à l’échelle nationale, comprenant neuf années d’études fondamentales et deux niveaux de baccalauréat (général et spécialisé), chacun garantissant une orientation vers des études universitaires.

L’éducation civique et des formations en leadership et en psychologie seront obligatoires. Le programme éducatif inclura la construction d’écoles et d’universités bien équipées dans les zones rurales.

Les établissements privés devront obtenir une licence délivrée par le Ministère de l’Éducation Nationale et garantir un niveau académique élevé. De plus, les jeunes diplômés devront servir l’État pour rembourser les crédits étudiants.

2. Santé : Améliorer l’accès aux soins dans les zones les plus touchées par la crise, avec un renforcement des infrastructures de santé dans les régions rurales.

3. Relance de l’agriculture : Moderniser les infrastructures agricoles et soutenir les petits exploitants par des contrats garantissant la sécurité des productions agricoles locales. Cela inclut aussi l’amélioration de l’accès aux marchés et des incitations à la production locale.

4. Création d’emplois : Attirer des investissements étrangers en créant des zones franches industrielles, soutenant ainsi la production locale et l’exportation. Un programme dédié aux jeunes entrepreneurs sera mis en place par le Ministère du Commerce, incluant des formations spécialisées et des financements pour encourager le développement des PME.

De plus, il est proposé de rendre le pays opérationnel 24/24 et 7/7, afin de permettre un fonctionnement continu avec des horaires de travail en équipe de trois. Un poste de travail pourra ainsi être occupé par trois employés, suivant ces horaires :

Horaire 1 : 8h30 à 16h30
Horaire 2 : 16h30 à 00h30
Horaire 3 : 00h30 à 8h30

V. Engagement international

1. Leadership local : Il est essentiel que les projets internationaux en Haïti soient dirigés par des Haïtiens, afin d’éviter une dépendance excessive et de garantir que les initiatives soient adaptées aux réalités locales. Les ONG doivent être orientées pour investir en fonction de leur budget et des besoins spécifiques du pays, afin de minimiser les investissements inutiles et d’optimiser l’impact des actions menées.

2. Soutien ciblé : Il est nécessaire de renforcer les partenariats bilatéraux avec des pays comme le Brésil, le Venezuela, la Chine, et le Salvador, en particulier pour la sécurité et les échanges commerciaux. Ces partenariats devraient être stratégiquement orientés pour répondre aux priorités d’Haïti, notamment en matière de sécurité et de développement économique durable.

3. Financements innovants : Un programme impliquant la diaspora pourrait offrir une source de financement stable et innovante pour le développement d’Haïti. En émettant des obligations nationales destinées à la diaspora, Haïti pourrait créer des solutions de financement qui renforcent l’engagement des Haïtiens de l’étranger tout en contribuant à la reconstruction du pays. En parallèle, un programme pour assurer et sécuriser les biens de la diaspora serait un moyen de favoriser leur participation active dans le développement économique d’Haïti.

La reconstruction d’Haïti requiert une approche intégrée qui associe à la fois les citoyens, les dirigeants locaux, et la communauté internationale. En mettant en place des réformes audacieuses, telles que la restauration de la constitution de Dessalines et le renforcement de la sécurité, Haïti peut se positionner comme un modèle de résilience et d’autodétermination sur la scène mondiale.

Source photo: Radio-canada