Bwa Kale 2.0 : une réponse désespérée de la population face à l’inaction

Written on 11/20/2024
Revital Lynch

En novembre 2024, Haïti est confrontée à une intensification dramatique des violences orchestrées par des terroristes regroupés sous la coalition « Viv Ansanm ». Ces groupes, dans une manœuvre coordonnée, ont multiplié les attaques à travers le pays, exposant une population laissée à elle-même, malgré le déploiement des forces kényanes censées rétablir l’ordre.

Depuis 2023, les chiffres sont alarmants : plus de 3 156 personnes ont été tuées et 1 284 kidnappées par des terroristes criminels qui contrôlent environ 80 % de Port-au-Prince. Ces groupes utilisent des violences extrêmes, notamment des agressions sexuelles, pour maintenir leur emprise sur la population.

Des rapports récents révèlent une intensification des assauts sur les quartiers résidentiels. Le bilan humain est accablant : des centaines de maisons incendiées, des civils tués ou mutilés, et plus de 800 000 personnes, dont de nombreux enfants, déplacées. Depuis que les groupes terroristes ont pris le contrôle de Solino, une zone stratégique offrant un accès direct aux rares endroits encore épargnés, la situation s’est encore aggravée. Livrée à un combat ultime, la population n’a d’autre choix que de réagir pour tenter de se protéger.

Une stratégie populaire de survie : le retour de « Bwa Kale »

Face à l’incapacité de l’État et des forces internationales à garantir la sécurité, la population s’est tournée vers le mouvement Bwa Kale. Né en 2023, ce mouvement de justice populaire permet à des communautés locales de se défendre contre les terroristes.

Bwa Kale en créole, signifie littéralement « bois dénudé », mais dans le langage locale, l’expression traduit un fait grossier, ici elle symbolise plutôt une justice expéditive et radicale, souvent marquée par des lynchages. On rapporte que depuis son émergence, plusieurs centaines d’individus liés aux groupes terroristes ont été radicalement éliminés.

En 2024, une version renforcée du mouvement, surnommée Bwa Kale 2.0, prend de l’ampleur. À Pétion-Ville, plus d’une trentaine de terroristes ont été abattus, tandis qu’à Canapé-Vert et à Delmas, des lynchages violents ont été signalés. Cependant, cette mobilisation soulève des débats concernant ses limites et ses dangers. Bien que son efficacité semble surpasser celle des actions des forces de l’ordre, elle reste controversée en raison des risques liés à la justice extrajudiciaire.

Caractéristiques du mouvement :
Les citoyens organisent des comités locaux pour surveiller et protéger leurs quartiers.
Les membres de terroristes présumés sont souvent exécutés sur place, sans procès.
Le mouvement, bien qu’efficace à court terme, présente des risques de dérives.

Débat et impact :
Parmi ses avantages, le mouvement Bwa Kale apparaît comme la seule option efficace pour contrer l’insécurité. Il a permis une réduction temporaire de l’influence des terroristes dans certaines zones, redonnant un sentiment de sécurité à la population. Cependant, il présente également des risques importants, tels que des abus, des erreurs de jugement et la perpétuation d’un climat de violence généralisée.

Limogeage de Garry Conille : une distraction fatale ?

Le 10 novembre 2024, le Conseil présidentiel de transition (CPT) a limogé le Premier ministre Garry Conille, plongeant le pays dans une confusion politique accrue. Cette décision controversée, critiquée pour son manque de légitimité constitutionnelle, a exacerbé l’instabilité. Conille a dénoncé cette destitution comme illégale, affirmant que seul un Parlement fonctionnel aurait eu ce pouvoir – une institution actuellement inexistante.

Ce limogeage, suivi de la nomination d’Alix Didier Fils Aimé à la Primature, a offert aux terroristes une opportunité de tirer parti de l’instabilité gouvernementale pour intensifier leurs attaques. Depuis, le pays s’enfonce davantage dans le chaos.

Malgré le déploiement des forces kényanes et l’annonce d’initiatives internationales, les résultats demeurent insuffisants. Les Haïtiens reprochent à ces acteurs une lenteur d’action, tandis que les terroristes renforcent leur emprise.

La nomination de Garry Conille, soutenue par la communauté internationale, devait marquer une étape cruciale dans la lutte contre l’insécurité. Cependant, son mandat s’est limité à des discours creux et des promesses non tenues, à l’image de son slogan “Kay pa Kay”, qui semblait davantage être un ordre adressé aux terroristes qu’une mesure concrète pour restaurer l’ordre.

Une crise multidimensionnelle

Le contexte actuel démontre une crise humanitaire, sécuritaire et politique sans précédent. La population réclame une justice immédiate et proactive, mais l’État et ses partenaires internationaux peinent à apporter une réponse efficace.

Haïti se trouve à un tournant critique : seule une action coordonnée, rapide et efficace pourra prévenir un effondrement total. La montée en puissance de mouvements populaires comme Bwa Kale illustre à la fois la résilience du peuple haïtien et les dangers inhérents à une justice extrajudiciaire, qui pourrait, à terme, engendrer des conséquences néfastes pour la société s’il n’est pas bien organisé et encadré.